LES MOYENS DU MEURTRE
Le Struthof a été le lieu de plus de 12000 ou 13000 décès. En fait 42000 personnes y ont été immatriculées, et environ 40% de ces personnes sont mortes, en incluant les 70 commandos rattachés. Pourquoi donc insister sur moins de 90 morts et leurs circonstances ? Pour la même raisons que les dénégateurs. Pour montrer que ces morts ont été délibérées et pas le résultat d'une famine étendue à l'Europe entière. Pour montrer que ces morts n'étaient pas dues à un travail nécessaire à l'effort de guerre. Pour montrer finalement que ces morts résultaient d'une idéologie antisémite propre aux nazis, et de leur mépris pour une «sous-humanité».
Nous savons que la chambre à gaz du Struthof avait été dans un premier temps une simple chambre froide, puis une chambre étanche destinée à l'entraînement des recrues au port de masques à gaz.
Cette pièce était donc déjà étanche; il fallait peu de choses pour la transformer en chambre à gaz: un moyen d'introduction des gaz, un moyen d'aération avant l'ouverture des portes. Les Allemands y ont ajouté un regard vitré.
Voici le témoignage du détenu qui a installé le dispositif d'introduction des gaz, et qui provient également de l'ouvrage de Pressac (nous utilisons beaucoup cette source car peu de personnes comme M. Pressac ou M. Wellers ont eu accès aux sources historiques malgré les limitations françaises assez sévères pour consulter les documents, avec actuellement un délai de 60 ans après les faits pour devenir publics; ce témoignage provient du Tribunal militaire permanent de Strasbourg).
Deposition by ex-prisoner Georg WEYDERT of Luxemburg regarding the installation, in the unused cold storage chamber at Struthof, of a device that could be used to make liquid flow from the exterior to the interior:
"while I was with the sanitary installations commando at camp Natzweiler, sometime between the spring and summer of 1943, I had to go to the gas chamber [The witness might seem to be anticipating the function of the room. It did not become a homicidal gas chamber until after the work he did there. But it is probable that it no longer served as a cold storage chamber at the time, and that the SS had already adapted it for training recruits in the wearing of gas masks.] on orders from the building directorate, to do some work there with the help of a prisoner of German nationality. Schondelmaier [an SS-man] was already there, and he told me to make a funnel out of sheet-metal, which was then attached to the outer wall of the gas chamber, on the corridor side, right next to a peep-hole for looking into the chamber. The small end of the funnel led into a pipe which passed into the chamber and stopped over a hole made in the concrete floor. A porcelain receptacle with a capacity of one or two litres was placed in this hole.
A tap was fitted into the piece of pipe immediately below the funnel. The purpose of this device was to pour a liquid--I have no idea what liquid --into the funnel with the tap turned shut, and then, at a chosen moment, to cause this liquid to flow towards the gas chamber and into the porcelain receptacle, where another liquid would have been placed in advance. [In fact, J. Kramer placed crystals in the porcelain receptacle.] The chemical reaction between the two liquids was to result in the release of toxic gas, designed to asphyxiate prisoners enclosed in the chamber. [The witness is extrapolating. How could he have known that the system would be used to gas prisoners? If he had such knowledge through an indiscretion, he should have said so and his deposition would thereby have taken on even more weight.]
My work was barely finished when Nitsche came along, in the company of a Wehrmacht doctor whose name I never knew.
After Nitsche had checked the work, he ordered me to install a grating, fastening it with care over the porcelain receptacle, so the prisoners enclosed in the chamber would not be able to move the receptacle.'' [The above remark applies again. Note that the receptacle had no drain and was immobilized by the grating, so any liquid it contained could not be poured out. This absurdity made cleaning a problem, and exemplifies the improvised nature of an installation that was to be used for only a short time.]
Nous ne suivrons pas non plus Pressac quant à cet argument. Il n'était pas plus difficile de nettoyer une cuvette de porcelaine de son contenu que de nettoyer les cristaux de Zyklon-B des Krema 4 et 5, ou des bunkers de Birkenau, alors que ceux-ci ont été utilisés à de multiples reprises; il suffisait à un SS portant un masque à gaz de rincer au jet cette cuvette, et nous verrons plus loin qu'effectivement la chambre à gaz avait un trou d'évacuation central par lequel les produits auraient été évacués aussi bien qu'à Birkenau. Le camp de Natzweiler avait un système d'égouts (par lequel un détenu a d'ailleurs tenté sans succès de s'évader) et il y a peu de doute que ce trou central devait mener également à un endroit assez distant pour que personne ne courre un danger si quelques gaz continuaient à s'évacuer au cas où la réaction de dégagement aurait été incomplète. Nous ne croyons d'ailleurs pas que la réaction aurait été lente ou incomplète s'agissant ici de produits liquides: il suffisait que l'un des produits soit légèrement en excès pour que la réaction soit complétée en moins de 15 minutes.
Les nazis étaient pressés de construire cette chambre avant l'arrivée des 87 juifs. Le rapport journalier du responsable des constructions du 3 août 1943 cite 3 fois le mot «Gasraum» et une fois le mot «Gaskammer» au sujet de l'état des travaux.
Kramer lui-même cite dès avant (dans un courrier du 12 avril 43) une chambre «G-Zelle» qui a un volume de 20 mètres cubes et il se trouve que la future chambre à gaz du Struthof a exactement un volume de 20 mètres cube; Hirt dans un courrier du 14 juillet 43 écrit dans une lettre que «das Material zur Vergasung..» etc..
Comme Hirt n'avait rien à voir avec l'entraînement des recrues au port des masques à gaz, mais était très lié aux travaux de l'Ahnenerbe et souhaitait une collection de squelettes «judéo-bolcheviques» typiques, la conclusion s'impose d'elle-même à tout dénégateur aussi honnête que Cole, et il ne sert ici de rien de finasser sur les significations de Gaskammer ou Gasraum, ou Vergasung, à propos d'abri anti-aérien ou de cokéfaction de la houille.
Les documents sont tellement précis que nous pouvons dire que les travaux ont coûté 236,08 RM.. Le «Tagebericht über den Bautrieb» détaille les travaux: maçonnerie dans la chambre (sans doute le regard et le colmatage de l'orifice d'introduction); allongement du tuyau d'évacuation; peinture de la chambre.
En-dessous de l'éclairage (A) et du regard (B) nous apercevons un trou (C) dans le mur qui est la trace du tuyau d'introduction des gaz hâtivement enlevé (puisqu'il n'a même pas été rebouché). La prise électrique plus bas (D) est postérieure au gazage des 86 juifs; elle a servi pour les expérimentations pour le gaz phosgène et servait à faire exploser l'ampoule contenant le gaz. Bickenbach a dit dans ses aveux que les prisonniers étaient priés de briser eux-même cette ampoule puis de marcher en rond afin d'éviter les poches de gaz concentré. Certains témoins ont effectivement rapporté de telles choses, mais aussi des incidents (des "sujets" déclarant avoir brisé les deux ampoules mais attendant le démarrage de la ventilation pour briser la seconde, qu'ils dissimulaient), et le "protocole" a donc pu être changé ensuite. Comme d'autres témoins ont parlé d'un dispositif électrique brisant cette ampoule, il est plausible que Bickenbach ait voulu se décharger de l'accusation d'avoir personnellement déclenché le bris de l'ampoule. Enfin, tout en bas et droit en-dessous de la prise, on aperçoit assez mal le réceptacle des produits cyanurés qui a été installé par le détenu Weydert (cette difficulté tient à notre matériel de scannage des documents et le réceptacle est bien visible sur la photo originale).
La chambre à gaz était équipée d'un trou d'évacuation des eaux usées (notée ci-dessous G), pouvant servir à évacuer les résidus de l'introduction de sels de cyanure dans la cuvette de porcelaine:
Ceci est l'orifice d'évacuation des gaz, équipé d'un moteur de ventilation 4B50 de marque NVM, qui consommait un ampère à 50 Hz et avait une période de rotation de 1400 tours / minute (n° de série 342322):
Voici un détail de l'aspect du mur (vu depuis le couloir, c'est pourquoi on ne voit pas de carreaux de faïence et que le trou est à droite du regard) après que les SS eurent ôté les tuyaux servant à l'introduction des sels de cyanure:
Comme le mur est perforé de part en part et que nous savons que la chambre a dans un premier temps servi à l'expérimentation de gaz phosgène, puis à nouveau à l'entraînement aux masques à gaz, il est évident que les SS ont enlevé au dernier moment le dispositif d'introduction des cyanures, rendant alors la chambre non étanche. S'ils ne se sont donné la peine que n'enlever que cet élément et pas d'autres, c'est qu'ils savaient que la présence de ce dispositif dans cette chambre serait difficile à expliquer.
Mais ils ont laissé le dispositif lui-même au camp et on a récupéré l'entonnoir, le robinet, le tuyau installés par Weydert:
Ceci peut se comprendre: comme ce matériel n'a servi qu'à introduire de l'eau, cet entonnoir ou ce tuyau n'avait rien de compromettant en soi. Et effectivement, l'analyse n'y a pas retrouvé de traces de cyanures (le tuyau a aussi été analysé négativement).
De même, alors que ceci pouvait sembler compromettant mais ne l'était pas, ne se sont-ils pas donné la peine d'ôter de la porte la sonde de mesure des taux de phosgène utilisée lors des «expérimentations» sur les vertus protectrices du phosgène dont les tziganes avaient fait les frais:
On a d'abord cru que cette sonde notée (A) avait servi à introduire les cyanures : en fait elle servait à contrôler les taux de phosgène auxquels étaient soumis les tziganes.
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